Comment adapter la recherche à la crise épidémique COVID19 ?
Avril 2020
La situation sanitaire exceptionnelle que nous sommes en train de vivre a indubitablement des conséquences négatives sur l’accès aux soins de santé et sur les déterminants sociaux des populations vulnérables. Cette situation nous fournit néanmoins une opportunité pour questionner les politiques et la recherche en santé mondiale. Quelques nouvelles sur notre mobilisation dans la recherche sur les systèmes de santé au sein de UNISSAHEL.
Un intérêt global inédit pour les sciences
Notons tout d’abord que la mobilisation des chercheurs et de leurs travaux scientifiques par les gouvernements est inédite. Des conseils scientifiques, intersectoriels et interdisciplinaires se mettent en place dans de nombreux pays. Au Sénégal, le centre des opérations d’urgence sanitaire (COUS) coordonne la réponse nationale à l’épidémie en collaboration avec le Ministère de la santé publique et de l’action sociale. Deux membres du projet UNISSAHEL, Khoudia Sow (CRCF) et Mame Penda Ba (UGB) participent aux réunions. L’interdisciplinarité et l’intersectorialité sont primordiales pour évaluer les interventions mises en œuvre pour lutter contre l’épidémie, mais aussi pour trouver le juste équilibre entre les risques sociaux et économiques des mesures et les risques sanitaires dus à la maladie.
Un exemple de cette mise en commun est la création d’un site pour recenser les cas et les mesures prises dans chacun des pays d’Afrique de l’Ouest : https://www.covid19afrique.com/, un site mis à jour quotidiennement par Emmanuel Bonnet (RESILIENCE, IRD) et Valéry Ridde (CEPED, IRD), responsables de cette initiative.
Réfléchir sur les méthodes et les interventions à mettre en oeuvre
En premier lieu nous avons discuté des questions de méthode. Si les analyses de bases de données portant sur des périodes antérieures peuvent se poursuivre ce n’est pas le cas des enquêtes de terrain que nous conduisons sur la résilience des systèmes de santé au Tchad et au Mali, et dans le volet anthropologique au Sénégal. Entre autres, il s’agit de ne pas exposer les enquêteurs et enquêtrices à des risques d’infection.
De leur côté, les membres de l’ONG BASE (Tchad) réalisent des campagnes de sensibilisation imagées en français et en arabe à travers leur page Facebook (Bureau d’appui santé environnement). Ils donnent également des conseils pour assurer une bonne alimentation pour les enfants pendant qu’ils sont à la maison.
Compte tenu de l'urgence sanitaire provoquée par le COVID-19, BASE et son partenaire WHI, une ONG Suisse, ont décidé d’apporter leur appui et au District Sanitaire d'Abougoudam, de la Délégation Sanitaire Provinciale du Ouaddaï, dans la mise en œuvre des stratégies de prévention au COVID-19. Cet appui est constitué de deux volets : Le volet hygiène des mains à travers des dispositifs de lavage de mains et le volet sensibilisation au sein de communauté pour freiner la propagation du Covid-19.
Les chercheurs sollicités dans les médias
Enfin, notre équipe de recherche est sollicitée pour s’exprimer sur des débats sensibles et des controverses. Par exemple, le juste équilibre entre la place de l’Afrique de l’Ouest dans les essais cliniques et dans l’accès aux traitements et aux vaccins dans un contexte mondialisé est épineux. La récente polémique autour de deux médecins français énonçant un possible essai clinique en Afrique, rappellent des failles récentes, comme l’explique Fred Eboko, spécialiste des questions de gouvernance dans UNISSAHEL : « Des failles existent. L’histoire coloniale est riche de campagnes de vaccinations sauvages et d’essais malheureux ».
Khoudia Sow, coordinatrice de l’équipe du Sénégal, partageait ses préoccupations sur la nécessité de prendre en compte les répercussions économiques et psychologiques des mesures qui seraient prises par le gouvernement.
Donner le champ libre à de nouvelles questions
La gestion de cette épidémie est également porteuse de nouvelles questions sur la gouvernance des systèmes de santé, transformée en « gouvernance de l’urgence » : « Comment les activités institutionnelles se reconfigurent ? Quelle est la gouvernance de l’urgence ? Comment les liens entre science et gouvernance s’expriment-ils ? Comment apprend-t-on ou n’apprend-t-on pas des expériences passées ? »
Ce temps de l’urgence de la lutte contre l’épidémie demeure opportun pour appréhender les transformations de la santé mondiale. L’aide allouée par Cuba à l’Italie et la Russie, mais aussi l’expérience que les différentes épidémies ont permis d’acquérir dans les pays africains peuvent aider à renverser les tendances des relations Nord-Sud qui sont observées depuis de trop nombreuses années. Pour aider à faire un état des lieux des initiatives mises en oeuvre en Afrique pour lutter contre le COVID19, Valéry Ridde et Mame Penda Ba ont réalisé une communication : "La pandémie du Covid-19 vue d’Afrique".
Un récent éditorial paru dans Le Lancet mentionnait les interventions précoces de certains pays africains, comme au Rwanda, en Ouganda ou au Sénégal, qui n’avaient que peu d’écho dans la communauté internationale. Pourtant, s’il est encore trop tôt pour évaluer si ce sont des réussites ou non, les pays africains ont les capacités institutionnelles de recherche pour faire face à la pandémie. Alors que les pays européens peinent à obtenir les ressource nécessaires, comme le montre « la guerre des masques » qui met en évidence l’absence de coordination à un niveau global, cette pandémie permet d’observer les impacts de la mondialisation. Les pays du Nord ont changé, les pays du Sud également. Les inégalités dans les pays, les maladies chroniques, la contestation de l’expertise scientifique sont autant de défis communs à relever.
Et de nouveaux projets ...
Valéry Ridde, Emmanuel Bonnet et Fanny Chabrol vont mener un projet sur la résilience des hôpitaux au Canada, au Brésil, au Mali et en France afin de comprendre comment cet élément central des systèmes de santé participe à l'adaptation à cette crise. Pour en savoir un peu plus, une description du projet ici.
Notre projet doit s’adapter à ce contexte inédit: « Les entretiens par téléphone peuvent-ils remplacer – provisoirement - les entretiens en face à face ? ». La démarche anthropologique est une démarche sensible qui s’adapte aux contextes de crise que l’on peut documenter par différentes stratégies. Par exemple, les assistants de recherche au CRCF (Sénégal) ont réorienté leurs activités vers une prise de notes quotidienne, décrivant le vécu des mesures sanitaires dictées par l’état d’urgence, dans leur famille et dans leur quartier. Une veille médiatique a également été mise en place par les chercheurs au CRCF.
